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Lajte kere Jakobsfelda

Koliko sam pratila, kod nas su se "Slučajem Handke" u Comedie Francaise bavili samo tabloidi, Nin, Kurir i ekipa, a pošto kapiram da od petka vrzići-uveoci i inače jurcaju po ovom sajtu, gušeći se u sopstvenoj pljuvački zadovoljstva šta će sve tu moći da se nakupi od tema za silne neke buduće kolumne udruženih džibera na organizovanom radu u mafijaškim glasilima, pa sad evo da im skratim put i posao.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-775452,0.html

Point de vue
Ce que signifie être ami de la Serbie, par Biljana Srbljanovic

LE MONDE | 24.05.06 | 14h03  •  Mis à jour le 24.05.06 | 14h03

Et moi je me demande si, dans toute cette affaire, on ne pourrait pas prendre un autre chemin. Je ne pense pas qu'on puisse parler de censure. Ce qui ne veut pas dire que j'approuve le fait qu'on ne joue pas Peter Handke.

Sans doute, chaque directeur a le droit d'avoir sa propre vision du théâtre qu'il dirige, de son sens artistique et intellectuel, mais aussi (dieu merci) politique, car sans ce dernier, le théâtre, pour moi, n'a aucun sens. La décision de Marcel Bozonnet est publique de bout en bout, elle est en réalité un appel à la polémique : c'est un débat politique et intellectuel avec un écrivain qui a également rendu publiques ses positions politiques et intellectuelles, dans une performance quasi théâtrale.

Si le directeur avait décidé de ne rien expliquer, de renvoyer le projet en cachant ses vraies raisons, d'en donner d'autres, plus ou moins convaincantes (mon expérience de la vie dans la Serbie de Slobodan Milosevic m'a rendu suspectes les raisons "de nature technique"), alors cela aurait un sens de discuter sur la censure. Là, c'est une réponse politique à une question politique. Laquelle, en fait, n'est pas l'essentiel. Car la grandeur de Peter Handke ne sera jamais jaugée à l'aune de son credo politique ou de son entrée au répertoire de la Comédie-Française.

En tout cas, M. Handke a au moins eu beaucoup de chance, car si ce qui lui arrive est de la censure, il a au moins évité la censure à la Slobodan Milosevic. Je veux dire : à chaque fois que son (à présent défunt) ami décidait de censurer quelqu'un, il le faisait plus efficacement et avec moins de bruit : une balle dans la nuque, en général sur le pas de la porte, ou devant une fosse creusée à l'avance, tout au fond de la forêt, fosse dans laquelle tombait le censuré. Après la censure, du coup plus personne ne le retrouvait.

Une chose encore : la journée que Peter Handke a passée à l'enterrement de Slobodan Milosevic à Pozarevac, rose à la main et questionnement dans l'âme, moi je l'ai passée sur la place principale de Belgrade, avec quelques milliers de personnes à l'unisson, dans une marche symbolique pour montrer que la Serbie n'était pas en deuil. On s'est débrouillés par nos propres moyens, comme autrefois, par SMS, e-mail, téléphone, chacun a prévenu tout le monde, et on s'est retrouvés là-bas, regrettant profondément que Peter Handke ne soit pas parmi nous. Car s'il était venu, s'il était juste passé, juste pour voir, il aurait rencontré, par exemple, la veuve de Slavko Curuija, un journaliste "censuré". Adversaire de Slobodan Milosevic, il a été tué au retour d'une promenade, une balle dans la nuque, et l'homme est tombé, tenant toujours sa femme par la main, et pendant les longues minutes qui ont suivi, elle ne savait pas qu'elle serrait la main d'un mort. Peter Handke aurait pu la rencontrer et lui demander qu'est-ce que ça fait quand il t'arrive une chose pareille, pendant les bombardements de l'OTAN de surcroît, quand les mois passent et que tu regardes avec effroi ton propre ciel, et tu ne penses qu'à une chose : sauver ta tête. Et tu sais qu'au même moment "le grand président" est parfaitement à l'abri dans un bunker à 20 mètres sous terre, et nous, tous les autres, comme ça tous seuls, terrés pathétiquement.

S'il était juste passé, juste pour voir, il aurait rencontré la famille et les amis d'un autre "censuré", Ivan Stambolic, kidnappé alors qu'il faisait du jogging dans la forêt à côté de chez lui, en plein jour et devant témoins, puis tué et enterré à la verticale, oui vraiment comme ça, debout, arrosé de chaux, et la chaux l'a bouffé, et à la fin il ne restait plus que l'os de la cuisse et une basket, à la fin, des années plus tard, quand la tombe a été découverte. La basket était de marque "Nike", peut-être qu'une répugnance légitime face à ce symbole du capitalisme global a empêché Peter Handke et ses amis de venir aussi à cet enterrement-là, de déposer une rose sur la caisse contenant l'os, et là, de dire qu'il était celui qui ne savait pas, et là, de se poser quelques questions sur Slobodan Milosevic, sur le sens de la vie, ou dans ce cas précis, plutôt de la mort.

Je pourrais continuer comme ça encore longtemps, et puis réaliser que c'est futile. Car l'essentiel, dans cette histoire, vraiment importante, c'est que le pouvoir public et l'opinion publique arrêtent d'utiliser le terme "proserbe" quand ils pensent aux partisans de Slobodan Milosevic, des criminels de guerre, des prisonniers de La Haye, des meurtriers et des violeurs. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais Slobodan Milosevic, avant de mourir, avait été renversé par les Serbes, par la force et la volonté de son propre peuple, ce même peuple serbe (si vraiment on doit parler de peuple et de nationalité). Slobodan Milosevic a été livré à La Haye par le gouvernement serbe légalement élu.

Etre pour Slobodan Milosevic n'a jamais, et surtout pas maintenant, voulu dire : être pour la Serbie. Etre pour Slobodan Milosevic a toujours voulu dire : se moquer non seulement de ses crimes en dehors des frontières de la Serbie, qui sont incommensurables, effroyables, indubitables, mais qui ne sont pas les seuls, car les victimes de Slobodan Milosevic sont aussi les Serbes eux-mêmes, son peuple a lui aussi terriblement souffert de la domination d'une idéologie, d'un régime dément et cruel. Moi, je n'en ai jamais rien eu à faire des différences de nationalité, et j'aurai honte pour toujours des crimes commis en mon nom, jusqu'à la mort j'aurai du mal à vivre en pensant à Vukovar, à Sarajevo, à Srebrenica, mais je demeure Serbe, je demeure une écrivaine serbe.

Etre ami de Slobodan Milosevic n'est pas être ami de la Serbie. Je veux juste qu'à moi, qu'à nous tous, soit rendu le droit à notre nom.

Biljana Srbljanovic est dramaturge serbe née à Belgrade en 1970.

Article paru dans l'édition du 25.05.06